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Les camps de transit et de reclassement dans le Puy-de-Dôme

Sources des Archives de France

Les Archives de France mettent à disposition des ressources historiques accessibles à tous ceux qui le souhaitent.
Vous trouverez des documents répertoriés à la suite de l’arrivée en France de plusieurs milliers d’anciens supplétifs et de leurs familles après la guerre d’Algérie.
La Commission propose ici des documents sur le camp de transit et de reclassement de Bourg-Lastic dans le Puy-de-Dôme.

Les camps de transit et de reclassement : l’exemple de Bourg-Lastic dans le Puy-de-Dôme

Après les accords d’Évian, l’arrivée en France des anciens supplétifs, qui avait déjà commencé à l’initiative de certains responsables de sections administratives spécialisées (SAS) malgré les directives gouvernementales (voir "L’arrivée et l’installation des Harkis en France : l’exemple du Lot-et Garonne"), s’accélère. Des structures d’accueil spécifiques – les camps de transit et de reclassement – où ils doivent être hébergés et être recensés avant leur reclassement, sont aménagés à leur intention dans des camps militaires, le premier sur le plateau du Larzac puis, devant la rapide saturation de ses capacités d’hébergement, à Bourg-Lastic.

Décidée le 20 juin 1962 par les autorités [Illustration 1], l’ouverture du camp de Bourg-Lastic nécessite un aménagement d’urgence, mené par l’armée avant l’arrivée des premiers réfugiés [Illustrations 1, 2, 3] prévue le 24 juin. 500 tonnes de matériel acheminées par camion ou par train permettent aux militaires d’installer en deux jours sur un plateau désertique, préalablement débroussaillé, 500 tentes équipées de 10 lits chacune et réparties en 10 villages sur une superficie comprise entre 25 et 30 hectares [Illustrations 1, 2].

Illustration 1 : les repliés musulmans du camp de Bourg-Lastic au 1er août 1962, rapport du chef de bataillon Ropars, commandant le camp de Bourg-Lastic, 6 août 1962 (Archives du Puy-de-Dôme, 414W)
Illustration 1 : les repliés musulmans du camp de Bourg-Lastic au 1er août 1962, rapport du chef de bataillon Ropars, commandant le camp de Bourg-Lastic, 6 août 1962 (Archives du Puy-de-Dôme, 414W)
Illustration 2 : exode, les Harkis à Bourg-Lastic, La Montagne, 25 juin 1962 (Archives du Puy-de-Dôme, 5BIB2)
Illustration 2 : exode, les Harkis à Bourg-Lastic, La Montagne, 25 juin 1962 (Archives du Puy-de-Dôme, 5BIB2)
Illustration 3 : près de 5 000 musulmans repliés d’Algérie vivent sous la tente au camp de Bourg-Lastic, extrait de presse d’origine inconnue, juillet 1962 (Archives du Puy-de-Dôme, 414W)
Illustration 3 : près de 5 000 musulmans repliés d’Algérie vivent sous la tente au camp de Bourg-Lastic, extrait de presse d’origine inconnue, juillet 1962 (Archives du Puy-de-Dôme, 414W)

919 anciens supplétifs et leurs familles arrivent le 24 juin en gare de Laquefeuille, d’où ils sont acheminés par camion jusqu’au camp de Bourg-Lastic sous la surveillance de la gendarmerie. Originaires de Kabylie, ils ont été regroupés à Maison-Carrée (ancien département d’Alger) puis ont embarqué sur le porte-avions Lafayette jusqu’à Marseille, où ils sont arrivés le 23. Le voyage à bord du train spécial qui les amène à Bourg-Lastic est difficile : les wagons sont bondés, il y a des femmes enceintes et des nourrissons, beaucoup dorment à même le sol et lors de l’arrêt à Clermont-Ferrand, certains demandent de l’eau aux secouristes de la Croix-Rouge venus distribuer du lait aux nombreux enfants [Illustration 2].

Les convois se succèdent jusqu’au 3 juillet, date à laquelle 4 926 personnes sont hébergées à Bourg-Lastic, 1 144 étant arrivées dans la seule journée du 28 juin. Après le 3 juillet, le flot des réfugiés se ralentit, bien que leur nombre total soit de 5 459 au 1er août, dont 2 472 enfants [Illustrations 1, 2, 4]. Toutes les catégories de supplétifs y sont représentées : Harkis, Moghzanis et membres des groupes mobiles de sécurité (GMS) [Illustrations 3, 4], auxquels sont mêlés d’anciens fonctionnaires musulmans, instituteurs et employés, un conseiller général et un Européen [Illustrations 2, 3].

Illustration 4 : les repliés musulmans du camp de Bourg-Lastic au 1er août 1962, rapport du chef de bataillon Ropars, commandant le camp de Bourg-Lastic, 6 août 1962 (Archives du Puy-de-Dôme, 414W)
Illustration 4 : les repliés musulmans du camp de Bourg-Lastic au 1er août 1962, rapport du chef de bataillon Ropars, commandant le camp de Bourg-Lastic, 6 août 1962 (Archives du Puy-de-Dôme, 414W)

Le camp de Bourg-Lastic, administré par l’armée comme celui du Larzac, est placé lors de son ouverture sous la responsabilité d’un officier du 92e régiment d’infanterie, remplacé en juillet par un officier des Affaires algériennes, ancien chef d’une section administrative spécialisée (SAS) [Illustrations 3, 6]. La gendarmerie de Bourg-Lastic y dispose d’un poste permanent.

L’arrivée massive des réfugiés depuis le 24 juin a nécessité l’installation d’une centaine de tentes supplémentaires, désormais réparties en 6 îlots, eux-mêmes divisés en deux villages [Illustrations 3, 5]. D’abord réservées à l’usage d’une seule famille, les tentes peuvent en héberger plusieurs [Illustration 2] ; chaque îlot, qui rassemble les anciens supplétifs provenant du même centre de regroupement en Algérie [Illustrations 2, 3], dépend d’un officier et de sous-officiers auparavant affectés en Afrique du Nord [Illustrations 3, 5], responsables de l’état civil, des plaintes éventuelles, de la distribution de la nourriture et de la répartition des corvées d’entretien et de nettoyage du camp.

Illustration 5 : rapport des Renseignements généraux sur les Harkis de Bourg-Lastic, 11 juillet 1962 (Archives du Puy-de-Dôme, 414W)
Illustration 5 : rapport des Renseignements généraux sur les Harkis de Bourg-Lastic, 11 juillet 1962 (Archives du Puy-de-Dôme, 414W)
Illustration 6 : les repliés musulmans du camp de Bourg-Lastic au 1er août 1962, rapport du chef de bataillon Ropars, commandant le camp de Bourg-Lastic, 6 août 1962 (Archives du Puy-de-Dôme, 414W)
Illustration 6 : les repliés musulmans du camp de Bourg-Lastic au 1er août 1962, rapport du chef de bataillon Ropars, commandant le camp de Bourg-Lastic, 6 août 1962 (Archives du Puy-de-Dôme, 414W)

Un menuisier a déjà fourni 500 installations sanitaires rudimentaires [Illustration 2] et des lavabos seront bientôt installés [Illustration 3] ; l’eau potable, acheminée par camions, est stockée dans des citernes [Illustration 3]. Des marchés ont été lancés par l’autorité militaire pour la nourriture, dont des commerçants locaux ont obtenu l’adjudication [Illustrations 2, 3]. Elle est distribuée tous les après-midis pour le lendemain, sauf la viande, conservée dans des réfrigérateurs, les familles ne disposant parfois que d’une vieille boîte de conserve pour cuisiner [Illustrations 2, 3], alors que les célibataires préfèrent se restaurer dans les cantines installées dans chaque îlot [Illustration 3].

Un médecin militaire, aidé de quatre aspirants, dirige le service médical [Illustration 3]. Les réfugiés hésitant à s’y rendre, une inspection des tentes est réalisée quotidiennement par un infirmier. Les cas bénins sont soignés sur place ; en cas d’aggravation, les malades sont dirigés vers l’infirmerie, puis sur l’hôpital de Clermont-Ferrand [Illustration 3]. Le camp est également doté d’un service social chargé de l’action psychologique.

Malgré une ambiance jugée satisfaisante par les Renseignements généraux qui surveillent le camp [Illustration 7], les conditions de vie y sont difficiles et la mortalité infantile importante, d’autant plus que les réfugiés sont partis sans biens et sans ressources [Illustrations 2, 3]. Des appels à la solidarité sont lancés dans la presse locale pour leur procurer des emplois de courte durée et recueillir des dons de vêtements, de couvertures et de chaussures, complétés par ceux de la Croix-Rouge, du Secours catholique et d’associations de rapatriés, qui fournissent également des médicaments [Illustrations 1, 3]. Les enfants en âge d’être scolarisés, et qui l’étaient déjà en Algérie, [Illustrations 2, 3, 4, 5] sont brièvement confiés pendant cette période de vacances scolaires à des membres de l’ancien Centre d'entraînement des moniteurs de la jeunesse d'Algérie (CMJA) installé à Issoire, pourtant connu pour ses sympathies envers le FLN [Illustration 3].

La liberté de circuler dans le camp y est totale, comme celle d’y entrer et d’en sortir [Illustrations 3, 7], mais il est fortement recommandé aux anciens supplétifs, très politisés [Illustration 12], d’éviter les milieux nationalistes des environs [Illustration 7]. Un prêtre, qui a hébergé en 1961 un responsable du FLN, manque d’être lynché lors de sa venue dans le camp : à la suite de l’incident, les visites sont désormais sévèrement contrôlées, voire interdites [Illustration 8].

 Illustration 7 : rapport des Renseignements généraux sur les Harkis de Bourg-Lastic, 11 juillet 1962 (Archives du Puy-de-Dôme, 414W)
Illustration 7 : rapport des Renseignements généraux sur les Harkis de Bourg-Lastic, 11 juillet 1962 (Archives du Puy-de-Dôme, 414W)
Illustration 8 : rapport des Renseignements généraux sur les Harkis de Bourg-Lastic, 11 juillet 1962 (Archives du Puy-de-Dôme, 414W)
Illustration 8 : rapport des Renseignements généraux sur les Harkis de Bourg-Lastic, 11 juillet 1962 (Archives du Puy-de-Dôme, 414W)

Les camps de transit et de reclassement, dont la destination ne sera précisée officiellement qu’en septembre 1962 par le gouvernement, ont vocation à être provisoires. Celui de Bourg-Lastic doit être fermé le 15 du même mois [Illustration 1] et son existence mise à profit pour recenser les anciens supplétifs [Illustration 3] et faciliter leur insertion dans la communauté nationale par l’obtention d’un emploi et d’un logement [Illustrations 1, 2, 3, 4]. En août, seuls 344 d’entre eux ont pu quitter le camp, ce qui inquiète particulièrement son commandant [Illustration 9], souvent grâce à l’intervention directe d’anciens responsables de SAS [Illustration 10] et malgré les appels lancés dans la presse locale [Illustration 3].

Le manque de qualification professionnelle est le principal obstacle au reclassement des anciens supplétifs [Illustration 4], qui trouvent à s’employer comme manœuvres, ouvriers ou gens de maison [Illustration 9]. Des solutions sont proposées, comme une formation professionnelle pour les plus jeunes ou une installation dans des villages abandonnés pour les plus fragiles [Illustrations 10, 11]. 

Illustration 9 : les repliés musulmans du camp de Bourg-Lastic au 1er août 1962, rapport du chef de bataillon Ropars, commandant le camp de Bourg-Lastic, 6 août 1962 (Archives du Puy-de-Dôme, 414W)
Illustration 9 : les repliés musulmans du camp de Bourg-Lastic au 1er août 1962, rapport du chef de bataillon Ropars, commandant le camp de Bourg-Lastic, 6 août 1962 (Archives du Puy-de-Dôme, 414W)
Illustration 10 : les repliés musulmans du camp de Bourg-Lastic au 1er août 1962, rapport du chef de bataillon Ropars, commandant le camp de Bourg-Lastic, 6 août 1962 (Archives du Puy-de-Dôme, 414W)
Illustration 10 : les repliés musulmans du camp de Bourg-Lastic au 1er août 1962, rapport du chef de bataillon Ropars, commandant le camp de Bourg-Lastic, 6 août 1962 (Archives du Puy-de-Dôme, 414W)
Illustration 11 : lettre du sous-lieutenant Le Breton au préfet du Puy-de-Dôme demandant à ce que soient accueillis dans le département 12 Harkis attachés à une section administrative spécialisée (SAS), 28 avril 1962 (Archives du Puy-de-Dôme, 414W)
Illustration 11 : lettre du sous-lieutenant Le Breton au préfet du Puy-de-Dôme demandant à ce que soient accueillis dans le département 12 Harkis attachés à une section administrative spécialisée (SAS), 28 avril 1962 (Archives du Puy-de-Dôme, 414W)

Désemparés par leur déracinement brutal et leur arrivée dans un pays qu’ils ne connaissent pas pour la plupart [Illustrations 12], ils préfèrent en outre rester dans le camp, d’autant plus qu’ils se sentent particulièrement menacés par le F.L.N. qui, très présent dans la région et le reste de la France, exerce des pressions sur eux [Illustrations 7, 9, 12, 13], allant jusqu’à assassiner un ancien Harki à Clermont-Ferrand [Illustration 14].

Aussi les autorités et les associations précisent-elles aux éventuels employeurs que la sécurité des anciens supplétifs doit être garantie, comme leur hébergement et le versement d’un salaire qui ne soit pas inférieur au SMIG (le salaire mensuel minimum net en 1962 est de 42,45 euros, ce qui correspond à 25,90 francs de 1962 d’après l’INSEEpour un contrat de travail d’au minimum d’un an [Illustration 3].

Illustration 12 : les repliés musulmans du camp de Bourg-Lastic au 1er août 1962, rapport du chef de bataillon Ropars, commandant le camp de Bourg-Lastic, 6 août 1962 (Archives du Puy-de-Dôme, 414W)
Illustration 12 : les repliés musulmans du camp de Bourg-Lastic au 1er août 1962, rapport du chef de bataillon Ropars, commandant le camp de Bourg-Lastic, 6 août 1962 (Archives du Puy-de-Dôme, 414W)
Illustration 13 : les repliés musulmans du camp de Bourg-Lastic au 1er août 1962, rapport du chef de bataillon Ropars, commandant le camp de Bourg-Lastic, 6 août 1962 (Archives du Puy-de-Dôme, 414W)
Illustration 13 : les repliés musulmans du camp de Bourg-Lastic au 1er août 1962, rapport du chef de bataillon Ropars, commandant le camp de Bourg-Lastic, 6 août 1962 (Archives du Puy-de-Dôme, 414W)
Illustration 14 : condamné à mort par un « tribunal » FLN, un ancien Harki est tué dans un hôtel de la ville, La Montagne, 28 septembre 1962 (Archives du Puy-de-Dôme, 414W)
Illustration 14 : condamné à mort par un « tribunal » FLN, un ancien Harki est tué dans un hôtel de la ville, La Montagne, 28 septembre 1962 (Archives du Puy-de-Dôme, 414W)

Les difficultés du reclassement des anciens supplétifs de Bourg-Lastic posent également un problème pour l’ordre public : désœuvrés, disposant de fortes sommes d’argent après le paiement de leurs primes de reconversion ou de licenciement [Illustration 7], ils les dépensent sans compter, notamment dans les cafés des environs où ils s’enivrent et provoquent des incidents, une situation qui pourrait être aggravée par leur hostilité vis-à-vis du FLN et leur éventuelle manipulation par l’OAS [Illustrations 7, 12].

Le camp de Bourg-Lastic ferme définitivement ses portes le 25 septembre 1962 : la majorité de ses occupants, qui n’ont pas pu être reclassés, sont dirigés vers celui de Saint-Maurice-l’Ardoise (Gard) (voir "Les hameaux de forestage : l’exemple de Villemagne (Gard)").

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