Découvrez le poème tiré du recueil "Poésies et romance du vent" de Marc Benredjem
Poème tiré du recueil "Poésies et romance du vent" (éditions Saint Honoré Paris).
« Crime d’État,
J’ai passé ma triste et tendre enfance
Entre la guerre, l’exode, et la douleur.
Comment comprendre cette décadence,
Dans l’esprit d’un enfant interrogateur
À qui on a volé toute son innocence.
Au lendemain de l’indépendance de l’Algérie
Alors que nous fûmes lâchés par la France.
S’ensuivit un effroyable massacre des harkis
Sous l’œil bienveillant de l’ancienne puissance,
Qui avait d’autres ambitions et stratégies.
Chaque jour nous étions la proie de ces fous.
Qui venaient nous voler le peu de nourriture
Et souvent, dans leur furie, nous rouer de coups.
Nous subissions ces horribles et dures créatures.
Qui pendaient même des pauvres chats à des clous.
Chaque jour, dès que le soleil darde ses rayons,
Nous partions ma sœur et moi glaner notre pitance,
À travers les prés où poussent les asperges et cardons.
Ces plantes étaient indispensables à notre subsistance,
Que nous ramenions avec d’autres denrées à la maison.
Cet ineffable et cruel destin qui nous conduisit
Sur le chemin de la fuite et l’exile à jamais.
Aucun espoir d’un retour vers le sol de notre patrie,
Avec les tueurs à nos trousses qui nous chassaient
Sans aucune pitié dans leurs actes de barbarie.
Nous dûmes tout abandonner et nous réfugier
À l’intérieur d’un camp militaire français.
Loin de ces Marsiens (NDLR) que la haine a aveuglés
Alors qu’hier encore ils venaient dénoncer
Leurs voisins ou frères pour quelques billets.
L’histoire humaine depuis que le monde est né,
Ne fait que se répéter et ceux qui ont des choses
À cacher sautent sur le témoin pour l’éliminer,
Afin de paraître patriotes et défenseurs de la cause.
Un combattant de l’ombre que nul ne connaît.
Nous passâmes plusieurs mois sous une tente
Avec pour horizon les barbelés et les chicanes.
De l’autre côté du grillage la foule menaçante
Près de cette caserne des Salines de Bône.
Au large, le bruit de la mer qui chante.
Un après-midi, on nous fit quitter ce cantonnement
Dans des camions bâchés avec pour ordre le silence.
Un convoi sous escorte armée pour notre déplacement
Jusqu’au port ce fut notre calvaire et notre pénitence.
Puis on embarqua à l’intérieur du grand bâtiment.
Le bateau vient de quitter à jamais le port
Adieu merveilleux pays de mes ancêtres.
Je vois défiler lentement le paysage à tribord
Et les côtes algériennes peu à peu, disparaître,
Laissant derrière moi ce magnifique décor.
La tristesse me prend amèrement le cœur
De quitter ainsi ma belle terre natale
Pour une autre vie, un autre ailleurs
Au fond de moi une douleur s’installe
Moi, l’enfant témoin de ces malheurs.
Le lugubre son du glas tintinnabulait
Au plus profond de mon esprit,
Comme une blessure mal soignée.
Qui torture mon âme et me détruit
Et la tourmente qui me rongeait.
Mon regard se porte alors sur ma mère
Dans ses beaux yeux encore mouillés
Où les larmes sur ses joues brillèrent.
Elle avait l’air si émue et révoltée
Mais soulagée de fuir nos tortionnaires.
Par le hublot de notre petite cabine
Je regardais le ciel parsemé de nuages,
Que le vent doucement dissémine,
Au loin vers les bords du long rivage
Couleur d’une terre opaline.
Nous passions la soirée à bord du paquebot
Et la traversée se passa durant la nuit.
On nous débarqua à l’aurore avec nos ballots
Sur le port de Marseille, loin des folies.
Dans le vaste ciel, la lune blanchâtre luit.
On nous mit en rang triés par famille,
Derrière les lourds camions militaires
Devant moi se tenaient un père et sa fille.
Plus loin un blessé sur sa litière,
Avec un pansement couvrant sa cheville.
Puis les camions roulèrent vers la gare.
On nous déposa en gare Saint-Charles
Nous étions la cible de tous les regards.
Les harkis dont toute la presse parle,
Ceux trahis par le grand Charles.
Le personnel de la Croix-Rouge bienveillant
S’affairait à distribuer de la nourriture,
Et des bouteilles d’eau à tous les enfants.
Nettoyant aussi certain de leurs vomissures
Avec des gestes tendres et parfois émouvants.
On nous fit monter dans ces gros wagons
Tractés par une grosse locomotive à vapeur.
Qui crachait toute sa fumée dans un tourbillon
Et le son de son sifflet qui nous faisait peur,
Au milieu des compartiments sentant le charbon.
Le train se mit en branle comme un long serpent,
Puis peu à peu le monstre prit de la vitesse.
Dans un bourdonnement de bruits effrayants.
Il n’avait pas l’air de se soucier de nos détresses.
Clopin-clopant il avala les kilomètres en bruyant.
Le contrôleur annonça l’arrivée à Perpignan
L’angoisse et la crainte me prirent à ce moment.
Beaucoup, las de ce long voyage très fatigant,
Se réveillèrent à Rivesaltes avec affolement,
Dehors, les camions militaires en stationnement.
On nous hissa sur les banquettes des véhicules.
À l’arrière de ces machines bruyantes.
Un silence de deuil sur les visages incrédules,
Où seule l’action des ridelles brinquebalantes
Donnait vie à nos silhouettes de somnambules.
Les engins stoppèrent devant le poste de police
Une longue colonne de camions se forma alors,
Puis après le contrôle des gardes de service,
Sous l’œil vigilant des sentinelles dans les miradors.
Sur un grand panneau, on pouvait voir des notices.
Devant nos yeux une immense ville de réfugiés
Avec ses bâtiments et ses toiles de tente alignées,
Où la vie semblait rythmée au fil des corvées.
On nous alloua une tente qui venait d’être libérée.
Au loin se dressaient le Canigou et ses pics enneigés.
Ce centre de rétention fut construit pour les Espagnols
Ces républicains qui fuirent les massacres de Franco.
Il se situe sur plus de 600 hectares de terre agricole,
Ces réfugiés étaient internés par la France dans ce ghetto,
Au milieu d’une vaste plaine arboricole et vinicole.
Par chance nous avions pu retrouver notre famille
Au centre de ce morne et gigantesque capharnaüm,
Ou l’abominable détresse humaine se ressentait à l’infini,
Au cœur des alignements géométriques des barnums,
Si austères et si obscurs comme une sombre nuit.
La vie reprit ses droits en l’espace de quelques jours.
Les retrouvailles avec mon père furent une joie.
Ces moments de court bonheur dans notre séjour,
Malgré le souffle glacial de la tramontane et le froid
Qui nous paralysaient le corps sur son parcours.
Nous souffrions surtout de ce frimas dès l’automne
Jusqu’à l’attribution d’un logement dans un bâtiment.
Pour notre intimité, une bâche entre deux colonnes
Un poêle pour le chauffage et à la cuisson des aliments.
Notre existence misérable était bien fade et monotone.
Pas de sanitaire ni toilettes, juste une grosse bassine
Que nous utilisions pour nous laver soir et matin
Entre deux couvertures qui servaient de cabine
Afin de se sentir un minimum propre et humain
Et avoir ainsi un semblant de meilleure mine.
Les WC à la turque étaient dehors sous un bâti en dur
Avec une montée d’escalier à chaque extrémité.
Des portes battantes et des tonneaux sous la structure
Que les hommes aller une fois par semaine vider
Comme lisier humain dans les champs de culture.
Cependant l’amertume me prenait parfois si vite
Lorsque je repensais à des instants de bonheur,
Que j’ai laissé derrière moi doucement m’irrite.
Tout en me cachant aux plus profondes de ma pudeur
Qui me servit de remède lorsque mon cœur palpite.
Puis les jours passèrent au gré de la monotonie
À l’intérieur de ce vaste lieu servant de relégation.
Nous étions des harkis dans nos peines et nos rêveries
Et, chaque jour l’arrivée d’une nouvelle population,
Sous les ordres militaires avec sa rudesse et sa hiérarchie.
Nous avons vécu là pendant plus d’une longue année
Comme la plupart des familles qui sont passées par là.
Avec mon grand frère, on allait de temps en temps travailler
Dans les vignes lorsque nous avions la permission pour ça.
Je revenais le soir complètement fourbu et éreinté.
Ce petit pécule nous servait à améliorer notre quotidien
Comme aller de temps à autre à Rivesaltes au cinéma.
Voir des péplums italiens ou parfois des films égyptiens.
Ces joies étaient notre évasion pour mes cousins et moi
Quand nous obtenions un accord de sortie de nos gardiens.
Souvent je repensais aux Juifs internés dans ces lieux
Lors de la seconde Guerre mondiale sur ordre de Vichy.
À ces pauvres tziganes qui ont connu cet endroit anxieux,
Mort dans les chambres à gaz du fait de leur ethnie.
Comment oublier tous ces drames ignominieux ?
Un événement inattendu survint au cours de notre séjour
On déménagea du village dix à celui du numéro huit.
De nouveau, il nous a fallu reprendre nos vies en cours
Dans une partie d’une construction au milieu de ce site,
Entouré de grillages et de fils barbelés tout autour.
Le jour arriva où nous dûmes quitter ces lieux
Pour d’autres destinations d’autres angoisses.
Une vie dans les hameaux forestiers sous d’autres cieux
Au milieu des bois et des cris stridents des rapaces.
Seul le chant harmonieux de la nature était si mélodieux ! »
Témoignage n° 14290181, déposé le 27 septembre 2023 par Monsieur Marc Benredjem